Prologue

 

Reynosa, Mexico

17 h 25

 

L’inspecteur Paloma Juarez ouvrit les yeux et essaya de faire le point. L’obscurité tourbillonnait autour d’elle et elle ne voyait rien, pas même un trait de lumière. Elle avait l’impression que son crâne était entré en collision avec un mur. La brume dans son cerveau se dissipa, et elle se souvint qu’il ne s’agissait nullement d’un mur, mais d’une botte de combat. Avait-elle la mâchoire cassée ?

Foutues bottes de combat.

Elle essaya de se redresser, mais ses bras et ses jambes étaient comme paralysés. Elle était toujours attachée. Renonçant provisoirement à bouger, elle reposa sa tête par terre et chercha à s’orienter. Elle était nue. Le béton froid lui rentrait dans les côtes. Autour d’elle flottait comme une odeur de produits chimiques… de l’ammoniaque, peut-être ? L’air sentait le renfermé. Elle passa la langue sur ses lèvres douloureuses et enflées, et sentit le goût métallique du sang.

L’homme l’avait questionnée sans relâche. Qu’avait-elle révélé ? Et qu’avait-elle réussi à garder pour elle ? Des menaces et des coups avaient suivi chaque question. Une vague de terreur glacée l’avait envahie quand son bourreau avait porté la main à sa ceinture. Aucun entraînement de police ne l’avait préparée à ça.

Sa respiration sifflait péniblement dans sa poitrine. Elle comprit qu’elle frôlait l’hyperventilation, et se mit à paniquer. Elle devait absolument élaborer un plan.

Ils pouvaient revenir d’une minute à l’autre.

Elle se tortilla sur le béton pour tenter de faire circuler le sang dans ses bras et dans ses jambes. Les sensations revinrent bientôt ; ses poignets et ses chevilles la brûlaient là où les menottes lui avaient scié la peau. Ignorant la douleur, elle parvint à se mettre à genoux. Là aussi, la chair était à vif, mais c’était bien le cadet de ses soucis.

Elle réussit ensuite à se mettre debout. Engloutie par les ténèbres, elle n’avait aucun moyen de trouver quelque chose pour couper ses liens. Elle devait s’échapper de cette pièce et mettre le plus de distance possible entre elle et ses ravisseurs. Elle commença à sautiller – de petits sauts qui l’essoufflaient et faisaient battre son cœur.

Elle heurta quelque chose et tendit ses mains liées devant elle. Elle toucha une surface dure et métallique. Recourbée. Un bidon ? La pièce dans laquelle elle s’était trouvée plus tôt lui avait semblé être une sorte d’entrepôt.

Des voix se rapprochèrent, suivies par des bruits de pas traînants. Une porte s’ouvrit, laissant entrer un mince filet de lumière dans la pièce. Paloma s’accroupit derrière le bidon, comme si elle pouvait disparaître.

— Où elle est passée, putain ?

C’était une voix masculine, celui qui s’appelait Ruiz.

— Donne-moi la lampe.

Son cœur bondit en reconnaissant la deuxième voix. L’Américain. Elle se recroquevilla un peu plus sur elle-même en priant le ciel pour qu’il ne la trouve pas.

Elle savait que c’était vain. Le faisceau de la lampe glissa sur sa cachette.

— Je l’ai, dit-il.

La lumière l’aveugla. Elle ne distinguait pas l’homme qui la tenait, mais ce n’était pas nécessaire. Son visage était définitivement gravé dans sa mémoire. Il avait la peau tannée, des yeux gris et glacés, et un sourire qui l’avait totalement déconcertée.

— Tu vas quelque part ? ricana-t-il. On a pas fini avec toi.

— S’il vous plaît…

Sa voix lui sembla rauque.

— Je vous ai déjà dit tout ce que je savais. Laissez-moi partir.

Il s’approcha, et elle perçut le relent familier de la sueur et de la tequila. L’odeur était plus pénible encore qu’auparavant, et elle essaya de ne pas penser à ce que ça signifiait.

— Tu aimerais ça, hein ? Mais c’est pas ce qui est prévu. Je crois que tu as encore quelque chose à nous dire.

— Non, je…

Son visage heurta le sol avec un bruit sec. Un liquide chaud jaillit de son nez.

— Je vais te poser la question encore une fois. Et je veux une réponse. Sinon, tu finiras comme ton coéquipier. Compris ?

Elle sentit son cœur défaillir.

— Où est Ben ?

Un genou vint s’enfoncer entre ses omoplates.

— Là où tu iras si tu ne coopères pas. Tout de suite. Qui d’autre sait ?

— Je vous l’ai déjà dit.

— Je veux des noms ! À qui d’autre as-tu parlé ?

— Je vous ai dit, je…

Un coup de botte atterrit dans sa cage thoracique et la douleur irradia dans tout son corps. Elle laissa échapper un gémissement et se roula en boule, comprenant que son sort était déjà scellé. Quoi qu’elle dise, ça ne comptait pas, ils allaient la tuer, comme Ben. Oh, Seigneur.

Elle pensa à Kaitlin, avec ses joues rebondies, ses nattes qui sautillaient au moindre de ses mouvements, sa voix chantante le matin : See ya later, alligator[1] ! (À plus tard, mon cœur !) et à la dernière chose qu’elle avait dite à sa fille ce jour-là : After a while, crocodile ! (Sois gentille, ma fille !) Pourquoi n’avait-elle pas ajouté Je t’aime ?

— Dix secondes… dit-il.

Elle sentit quelque chose de froid et dur presser contre sa tempe. Comment tout cela avait-il pu arriver ? Elle était flic. Une bonne flic. En tout cas, jusqu’à aujourd’hui. Mais elle avait commis des erreurs. Ben et elle avaient foncé droit dans une embuscade.

— Neuf…

Elle allait mourir. La seule chose qui lui restait, c’était le nom. Le nom de son frère. Marco était la seule personne, à l’exception de Ben, qui connaissait l’élément le plus important de leur enquête. Et elle était heureuse que Ben, lui, l’ignore. S’il l’avait su…

Elle n’imaginait pas ce qu’ils avaient fait à Ben. Elle devait penser à sa famille. Elle devait les protéger.

— Huit…

Ces hommes ne pouvaient rien trouver sur Marco. Elle devait en finir avant qu’ils trouvent un moyen de lui arracher la vérité.

— D’accord, d’accord ! dit-elle. Je vais vous le dire ! S’il vous plaît. Ne me touchez plus.

Le faisceau de la lampe se déplaça et vint illuminer le béton près de sa tête. Il y avait du sang. Qui venait de son nez ? De sa bouche ? Ça n’avait plus grande importance, désormais.

Je vous salue Marie, pleine de grâce… Paloma vit sa mère, les yeux fermés, les doigts agrippés à son chapelet. Le Seigneur est avec vous…

— Six…

Vous êtes bénie entre toutes les femmes…

— Cinq…

— Laissez-moi juste me relever !

Elle inspira profondément. Le faisceau se posa sur l’extrémité ensanglantée de la botte noire. Elle parvint à se mettre à genoux en y mettant toute l’énergie qui lui restait. Ses côtes l’élançaient et son nez palpitait, mais un sourire se dessina sur ses lèvres.

— Le nom que vous cherchez, c’est…

Elle s’interrompit, essuyant la salive et le sang autour de sa bouche. Elle inspira profondément et cracha sur la botte.

— Allez vous faire foutre.

Il ne se passa rien. Elle profita d’un minuscule instant de triomphe. Puis la botte s’abattit de nouveau.

 

 

Mayfield, Texas

17 h 50

 

Feenie Garland vivait une journée d’enfer.

Ça avait commencé le matin à dix heures, quand elle était rentrée de son match de tennis et avait trouvé un mot scotché sur le frigo : appelle le traiteur ! Son mari n’avait pas fourni d’autres détails, mais il ne fallut pas longtemps à Feenie pour comprendre. Le traiteur était désolé, mais du fait d’un problème imprévu, les repas ne pouvaient pas être livrés pour la vente aux enchères caritatives du lendemain soir. Le problème ? Les services d’hygiène avaient ordonné la fermeture définitive de sa cuisine. Et Feenie se retrouvait désormais avec quatre-vingt-seize personnes qui venaient participer à une fête dans la propriété de ses beaux-parents, et rien à servir.

À midi, un nouveau coup du sort avait frappé : le groupe de swing texan qu’elle avait réservé l’avait prévenue que le chanteur souffrait d’une laryngite.

Ouais, bien sûr. Elle était prête à parier ses stilettos noirs préférés que Swingtown avait choisi un concert qui rapportait plus que les quelques cacahuètes qu’elle pouvait leur offrir.

Les ventes aux enchères caritatives étaient toujours tellement pénibles à organiser ! Vous n’aviez presque aucun budget, et pourtant, il fallait fournir nourriture et alcool, et assurer l’animation pour donner envie aux riches donneurs de sortir leur carnet de chèques. Bien sûr, la vente des tickets apportait une aide certaine, mais les vrais billets affluaient quand les gens étaient suffisamment éméchés pour lâcher des sommes d’argent insensées, et pour de la camelote qui était loin d’être sensationnelle.

Pourquoi se laissait-elle toujours entraîner dans ce genre de combines ? Elle avait été une étudiante brillante, bon sang, et rédactrice en chef du journal de sa fac ! Est-ce que ce qu’elle faisait était réellement la meilleure manière d’employer ses talents ? Les enchères caritatives et les tournois de tennis ? Ça aurait pu lui suffire, si seulement elle avait un autre objectif sur lequel se concentrer. Quelque chose qui ait une réelle importance. Un bébé peut-être… un bébé potelé et gazouillant auquel elle consacrerait sa vie. Peut-être qu’alors, elle ne se sentirait plus partir à la dérive.

— Allô ! La terre à Feenie ! aboya une voix, interrompant son moment d’apitoiement.

— Désolée. Quoi ?

Cecelia Strickland roula des yeux.

— J’ai dit, et la cuisinière de ta belle-mère ? Est-ce qu’elle pourrait s’en occuper ?

Feenie braqua son regard sur sa meilleure amie par-dessus la table du petit-déjeuner, et fit une moue sarcastique. Imaginer la cuisinière de soixante-dix ans de Dottie Garland se charger de préparer un repas pour une centaine de personnes était proprement grotesque.

— Je ne crois pas, non. C’est une super cuisinière, mais elle est lente comme une limace ! Dans ce cas, on aurait plus vite fait de le faire nous-mêmes.

Cecelia leva un sourcil.

— C’est hors de question, Celie. On en est totalement incapables.

— Bon, dit Cecelia en repoussant une mèche de cheveux blonds derrière son oreille.

Comme Feenie, elle ne s’était pas douchée ni changée depuis leur match de tennis du matin. Elles se trouvaient au milieu d’une crise.

— On pourrait demander au club. Tu penses qu’ils pourraient faire ça au dernier moment ?

Feenie fit la moue. L’idée était pertinente. Le Mayfield Country Club n’était pas connu pour sa cuisine remarquable, mais le comité d’organisation de l’enchère – composé uniquement de Feenie et Cecelia – était totalement désespéré. De plus, la famille Garland avait pratiquement fondé cette ville, et la belle-mère de Feenie pourrait user de son influence auprès du directeur. Et la collecte de fonds de la Banque Alimentaire de Mayfield était une bonne cause. Qui pouvait refuser d’aider à lever des fonds pour donner à manger aux affamés ?

— C’est une idée. Ce sera du blanc de poulet caoutchouteux et des pâtes pas cuites, mais on s’en fiche, non ?

— Tu m’étonnes, dit Cecelia. On est à deux doigts de devoir se contenter de Curly et de mayonnaise, là.

Le téléphone se mit à sonner. Feenie bondit de sa chaise pour attraper le combiné posé sur le comptoir de la cuisine. Peut-être que le traiteur n’avait pas été fermé, après tout. Peut-être que le chanteur de Swingtown avait miraculeusement retrouvé sa voix. Elle porta le téléphone à son oreille et pria.

— Allô !

— C’est moi.

— Oh.

Elle poussa un soupir.

— Eh bien, cache ta joie, dit Josh.

Feenie adressa un regard d’excuse à Cecelia et s’éloigna dans le salon avec le téléphone.

— Désolée, mais je suis en plein cauchemar, là. Tu ne croiras jamais ce qui se passe avec les enchères.

— Je n’ai pas le temps de parler de ça, la coupa son mari. Je suis en route pour le tribunal et Sanderson vient d’appeler pour me dire qu’on avait une médiation demain matin. Je vais passer la nuit ici.

— Oh.

Feenie fut découragée. Elle aurait voulu susciter la compassion de Josh quant au fiasco qu’elle vivait avec les enchères. Feenie savait qu’il se fichait de ses œuvres de charité, mais cet événement avait lieu chez ses parents, après tout, et elle s’était attendue à ce qu’il lui témoigne au moins un soupçon d’intérêt.

— D’accord, reprit-elle en essayant de se montrer enthousiaste.

Elle ne voulait pas en rajouter une couche si Josh passait déjà une journée difficile. Ces derniers temps, il travaillait vraiment dur.

— Je te réchaufferai les restes de lasagnes quand tu rentreras.

Dieu merci, Stouffer cuisinait mieux qu’elle.

— Quoi ? répéta-t-il, manifestement distrait. Feenie, je n’ai pas le temps, là. Je dois vraiment y aller.

— Ne t’inquiète pas. On parlera plus tard. Ne travaille pas trop dur, mon cœur.

Elle lui envoya un baiser, mais ne reçut pour toute réponse que la tonalité. Elle retourna à la cuisine en soupirant, et trouva Cecelia penchée sur un annuaire.

Elle tapota la page du bout de son ongle rose.

— Voilà le numéro du club. Tu veux que j’appelle, ou il vaut mieux demander à ta belle-mère de le faire ?

Le téléphone sonna de nouveau et Feenie jeta un œil au numéro.

— Encore Josh, dit-elle à Cecelia en calant le téléphone contre son épaule. Hé, chéri. T’as oublié quelque chose ?

Mais au lieu de la voix de son mari, elle entendit une respiration. Une respiration lourde. Essoufflée. Des gémissements. Qui lui semblaient étrangement familiers. Puis une voix de femme :

— Oh, bébé ! Oh, oui ! Oh, bébé ! Oh, oui ! Ohhhh…

Le souffle coupé, Feenie lâcha le téléphone.

 

L’officier Marco Juarez détestait les affaires domestiques. C’était toujours la même merde : l’homme ivre frappe sa femme. La femme appelle les flics, hystérique. Quand les flics se pointent, ils trouvent le couple enlacé, réconcilié, même si la femme a un œil au beurre noir et la lèvre en sang. Et, quoi que vous disiez, la victime refuse toujours de porter plainte.

Cette fois-ci, ce serait peut-être différent. Jusque-là, l’affaire était déjà différente car l’appel provenait d’un quartier riche. Juarez tourna sur Pecan Street et dépassa une rangée soignée de petits pavillons restaurés. Il s’arrêta devant une maison jaune et blanc à deux étages ; un attroupement s’était formé dans l’allée. Il se tourna vers son partenaire, une nouvelle recrue.

— Suis-moi.

Peterson hocha la tête avec impatience et vérifia son arme.

Juarez haussa les sourcils.

— Pourquoi tu commencerais pas par parler aux curieux, voir si on peut avoir un aperçu de ce qui s’est passé ?

— Je m’en occupe, répondit Peterson.

Juarez claqua la portière du SUV et remonta l’allée. La plupart des personnes présentes répondaient aux idées que l’on se fait d’un voisin curieux. Un homme aux cheveux blancs, vêtu d’un bermuda, se tenait sur le côté, les bras croisés. Il jeta un regard mauvais à Juarez qui s’approchait de lui.

— Vous en avez mis du temps pour arriver ! Ça fait vingt bonnes minutes que la nana fait ça. Elle est en pétard, manque plus que l’allumette.

Juarez leva les yeux vers le bout de l’allée et repéra la « nana » en question. Elle avait une masse de boucles blondes et portait l’une de ces jupes courtes et plissées qui couvrent à peine les fesses. Elle rechargeait ce qui ressemblait à un .22 long rifle.

Une pom-pom girl dérangée ?

Avec un geste fluide, elle cala la carabine contre son épaule, visa un point vers la clôture arrière, et tira. Un objet brillant vola en éclats. Une bouteille de bière ? Non. Plusieurs autres objets étaient alignés sur les poteaux de la clôture.

Juarez jeta un regard alentour. Des costumes et des cravates étaient éparpillés dans l’allée. Il leva les yeux vers les fenêtres de l’étage, où un caleçon avait rencontré un obstacle en tombant. Il flottait tel un drapeau dans la brise du soir.

Ex-pom-pom girl, épouse dérangée, décida-t-il.

— Sur quoi elle tire ? demanda-t-il au voisin.

— Aucune idée. J’pense que c’est un vase ou un truc comme ça.

— C’est un trophée, intervint une femme.

Blonde, la trentaine, elle semblait sortir tout droit d’un court de tennis.

— Du championnat du club de l’année dernière.

— Vous connaissez cette femme ? lui demanda-t-il.

— C’est ma meilleure amie.

— Elle est ivre ?

La femme renifla.

— Non. Juste en pétard.

Juarez attendit la suite.

— Elle vient de découvrir qu’elle a épousé un connard, poursuivit la femme, comme si ça expliquait tout.

— Son mari est à l’intérieur ?

Juarez effleura son arme, et la femme fronça les sourcils.

— Vous n’avez pas besoin de ça, pour l’amour du ciel ! Il n’y a personne à l’intérieur. Les seules choses qui sont en danger, ici, ce sont ces trophées.

La procédure exigeait qu’il dégaine tout de même son arme et désarme le sujet, mais Juarez n’était pas très à cheval sur les règles et la réglementation, surtout quand elles allaient à l’encontre de ses instincts.

Et ses instincts, à cet instant précis, lui disaient que cette femme avait raison – le sujet était armé, mais pas dangereux. Pas pour le moment, du moins.

La femme rechargea son arme, et Juarez l’observa. Elle était jolie, en réalité. Gracieuse. Elle savait également manier une arme et, pour une raison obscure, l’association des deux fit accélérer son pouls.

— M’dame, dit-il en se dirigeant vers elle. Je vais vous demander de poser votre arme.

Au lieu d’obéir, elle se tourna et le regarda avec mépris, les joues rouges, des boucles tombant devant ses yeux. Il lui donna une petite trentaine d’années, moins de soixante kilos. Il ne put s’empêcher de remarquer qu’une très jolie partie du poids était concentrée sur son buste.

Elle pivota de nouveau, pointa le fusil vers la clôture, et fit feu, touchant cette fois une petite statuette en cuivre. C’était une sacrée bonne tireuse.

— M’dame.

Juarez s’approcha encore et posa une main sur le canon. Il était encore chaud.

— Quoi ? demanda-t-elle.

— Posez cette arme.

Elle souffla et posa l’arme au sol. Puis elle croisa les bras sur sa poitrine et lui jeta un regard venimeux.

— Voulez-vous bien m’expliquer ce qui se passe ici, m’dame ?

Si tant est que ce fût possible, ses joues rougirent davantage.

— Je m’entraîne au tir sur cible. Pourquoi ? Est-ce qu’il y a une loi qui interdit de tirer sur des trophées de golf ?

Il réprima un sourire.

— Non, mais il y a une loi qui interdit l’usage d’arme à feu en zone urbaine.

— Il y a une zone de passage, là-derrière, alors je vois pas où est le problème.

— Comment vous appelez-vous, m’dame ?

Elle s’apprêta à argumenter, puis se mordit la lèvre.

— Feenie. Feenie Gar… euh, Malone.

— OK, madame Malone.

— C’est mademoiselle !

Peterson apparut et retira l’arme de l’allée.

— Bien, mademoiselle Malone, reprit Juarez. Calmez-vous une minute, d’accord ? Maintenant, mon coéquipier va prendre votre arme pendant qu’on va aller discuter à l’intérieur.

Elle le regarda de la tête aux pieds, ses yeux bleus frémissant. Son voisin avait vu juste en la comparant à un pétard. Cette femme était fougueuse, de plus d’une façon, et elle avait un air provocant qui plaisait à Juarez.

— Écoutez, mademoiselle Malone.

Il se pencha vers elle et baissa la voix. Plusieurs voisins curieux s’approchèrent eux aussi.

— Quelles que soient vos raisons de faire ça, je suis sûr qu’il le mérite. Mais vous troublez l’ordre public, et je n’aimerais pas devoir vous traîner au poste. Il y a des enfants qui regardent.

Elle jeta un coup d’œil à la foule derrière elle et se mordit de nouveau la lèvre. Elle sembla se calmer peu à peu, et ses joues perdirent un peu de leurs couleurs.

— D’accord, inspecteur… ?

— Juarez.

— D’accord, inspecteur Juarez.

— Pourquoi n’irions-nous pas à l’intérieur, maintenant ?

Il examina les décombres dans l’allée.

— Vous détenez d’autres armes chez vous ?

Elle jeta un regard par-dessus son épaule tandis qu’elle le guidait vers la porte d’entrée.

— Bien sûr. Mon mari les collectionne. Le .22 est à moi.

— Où votre mari range-t-il ses armes, m’dame ?

Elle poussa la moustiquaire et l’introduisit à l’intérieur.

— Dans le coffre-fort, d’habitude, mais maintenant, elles sont au fond de la piscine.

Juarez s’arrêta net.

— La piscine ?

— Exactement. Avec ses clubs et son écran plat.

Elle sourit gentiment.

— Je me sens beaucoup mieux, maintenant, inspecteur Juarez. Je peux vous servir une limonade ?